Remote Lounge : Big Brother sur le zinc

Je viens tout juste d’apprendre la fermeture, il y a maintenant deux ans, du Remote Lounge, un club branché high-tech de New York dans lequel je m’étais rendu il y a quelques années. D’où ce flash-back et cet hommage. Je vous livre donc une copie d’un papier que j’avais écrit il y a quelques années, mais qui n’a finalement jamais été publié. Justice est donc rendue aujourd’hui.

Plongée dans la nuit new-yorkaise

Manhattan, juillet 2003. A la lisière d’East Village et de Soho, au plein milieu d’une avenue où se mêlent jour et nuit étudiants, punks, rastas et néo-hippies, le Remote Lounge m’ouvre ses portes sur un concept inédit. L’objectif de ce bar branché est de faire communiquer les gens entre eux par écrans interposés, et plus si affinités. L’endroit se trouve ainsi orné d’une soixantaine de caméras, couvrant sous tous les angles les moindres recoins des lieux. Leurs images sont diffusées non-stop en direct sur plus de 120 écrans larges répartis sur les deux niveaux que compte l’établissement. Les clients assis au bar peuvent ainsi visionner sur l’impressionnant mur d’images qui leur fait fasse tout ce qui se passe à l’étage, tandis que ceux assis près des consoles s’amusent à jouer aux réalisateurs d’un soir pour mieux zoomer sur les client(e)s qui les attirent.

Premier pas au Remote

Vu de l’extérieur, le ton est donné grâce à une façade réfléchissante, sorte de grande vitrine entièrement décorée d’écrans multicolores. Le lieu attire un public particulièrement hétéroclite, au fil du bouche à oreille et des critiques dithyrambiques de la presse, locale et nationale. Il convient toutefois de montrer patte blanche au « videur » pour pouvoir être admis dans le saint des saints. La porte d’entrée franchie, la musique assourdissante (new wave, house ou rock selon la soirée) plonge immédiatement le visiteur dans l’ambiance. L’endroit est bruyant, les lumières tamisées et l’atmosphère très collés/serrés. Amol, le barman, assure que « l’ambiance est vraiment très conviviale, tout le monde se parle ! »

Il est recommandé de laisser sa timidité au vestiaire et d’afficher d’entrée un large sourire. Les New-yorkais comme les touristes viennent ici pour boire un verre et se détendre, mais ils peuvent également en profiter pour se mêler à une conversation, faire des rencontres au bar ou par écrans interposés. Dans ce cas, faire le premier pas est extrêmement simple. Il suffit pour cela de s’installer à une console et de profiter du réseau interne directement commandé par les clients du bar.

La console t’espionne

Leur design rappelle le style « futuriste » des années 50, mais ces consoles sont bien plus que de simples gadgets. Elles se composent d’un moniteur, d’un combiné téléphonique, d’un joystick et d’une série de boutons. Chacun d’entre eux correspond à une fonction bien particulière : discuter, commander un ver au bar, etc. En utilisant cette console, n’importe quel client peut également contrôler tout ce que visionnent les autres ! C’est Big Brother à l’échelle d’un club, où tout le monde est consentant.

Après avoir arrêté la caméra sur quelqu’un, il devient possible de communiquer avec cette personne par combinés interposés … Les deux acteurs sont alors plongés dans une situation originale, parfait mixte de messagerie instantanée et de télé-réalité ! Un simple clic sur un bouton de la console suffit à prendre une capture d’écran et à l’envoyer directement sur le site Web du bar. Cela donne parfois lieu à des situations cocasses, comme le raconte Kevin Centanni, l’un des trois fondateurs des lieux : « on a eu le cas de clients venus d’Europe qui ont appelé leurs amis en leur disant ‘on est dans un super bar, venez nous voir sur leur site’ et ils n’ont eu qu’à cliquer sur ce bouton pour que presque instantanément leurs amis les voient en ligne ! »

« You’re talkin’ to me ? »

Lorsque l’on discute avec quelqu’un par écran interposé, cette personne n’est jamais qu’à quelques mètres seulement. Il est alors facile de terminer sa conversation autour d’un verre, voire de la poursuivre dehors. Cette méthode de rencontre est par conséquent beaucoup plus simple, rapide et conviviale que de longues séances de chat ou de vidéoconférences sur Internet par exemple. Elle présente le mérite de briser la glace instantanément. Kevin Centanni n’a jamais douté de son idée : « je suis convaincu qu’il s’agit d’un concept universel. La majorité de nos clients ont entre 21 et 35 ans, et nous avons d’excellents retours de nos visiteurs venus du monde entier et qui aimeraient avoir un Remote Lounge dans leur propre pays. »

Dans ce « cyber » bar (à ne pas confondre avec un cybercafé !) les gens sont rapidement mis à l’aise. « Ils ont bien sûr une appréhension la toute première fois qu’ils entrent ici, venant du fait que n’importe qui peut les épier à n’importe quel moment. Mais une fois assis à l’une de nos consoles ils se prennent rapidement au jeu et adorent jouer avec les caméras et s’immiscer dans les conversations », poursuit Kevin Centanni. Son témoignage est éloquent : « beaucoup de couples se sont formés ici, même si je ne suis pas au courant de mariages pour le moment ! » Le Remote Lounge serait-il une version moderne de Tournez manège ? Cela serait réducteur pour cet endroit où est organisé tout une flopée de soirées à thèmes et évènements ponctuels.

Big Brother is watching you

Inauguré à l’automne 2001, le Remote Lounge demeure un endroit difficile à définir. C’est à la fois un lieu empreint d’art et de technologie, mais surtout un formidable condensé de culture de la nuit ! Y entrer c’est poser les pieds dans un nouveau monde, virtuel, empli de sons et d’images. Des évènements spéciaux et soirées à thème y sont régulièrement organisés. Le concept même du lieu conduit les gens à s’immerger dans son ambiance si particulière. Les gens se retrouvent « téléportés » d’une table ou d’un étage à l’autre. Plus prosaïquement, toutes les caméras dirigeables permettent de se déplacer sans bouger de son siège ! Pour autant, il ne s’agit pas d’un cybercafé. Ici, il n’est pas question de chatter en ligne même si tout ressemble à de la vidéoconférence !

Une affaire qui roule

La construction de cet établissement a nécessité trois années de travail et beaucoup de sacrifices. « Monter le Remote Lounge nous a coûté à peu près 500000 dollars, certifie Kevin Centanni. Cela englobe aussi bien l’obtention des licences pour la vente d’alcool que la rénovation d’un lieu vieux de 150 ans. Le seul coût du système et de l’ensemble de la technologie employée est inférieur à 200000 dollars. C’est ce qu’il en coûterait pour s’installer dans un bar existant et le transformer en Remote Lounge bis. Ce n’est finalement pas si cher. » Pas si cher, car tout cet espace est consacré à l’image et à la vidéo, qu’il s’agisse de créations artistiques, d’animations, d’effets spéciaux, etc.

C’est aussi un lieu d’expression et d’exposition pour tous les artistes visuels. Outre la joie de faire de nouvelles rencontres par écran interposés, le Remote Lounge propose de nombreuses soirées à thème. L’éventail des soirées abordées est large, comme en témoigne Kevin Centanni : « Nous organisons tout un tas d’évènements très différents au Remote Lounge. Cela va des fêtes d’étudiants aux bar-mitsva, en passant par des soirées plus érotiques et fétichistes. Chaque nuit est différente au Remote Lounge ! » En effet, l’établissement organise et propose de nombreuses activités : soirées à thème (célibataires, Halloween, fétichisme, etc.) mais aussi anniversaires exceptionnels, speed dating, expositions, etc.

Un concept à développer

Le Remote Lounge est aujourd’hui une affaire qui tourne bien. « C’est un investissement tout à fait rentable pour nous et nous devrions récupérer notre argent d’ici quelques années », confirme un Kevin Centanni ravi. Mais, déjà tourné vers l’avenir il confie aussi « rechercher désormais des partenaires pour investir dans le but d’ouvrir d’autres Remote Lounge aux États-Unis et même à l’étranger. Toutes les suggestions pour développer le concept sont les bienvenues. » Avis aux investisseurs…

La renommée du bar dépasse le cadre de Manhattan : « bien sûr que l’on aurait par exemple aimé apparaître dans une série comme Sex & the City, mais le fait d’avoir été plébiscité par la presse, locale et internationale, nous assure déjà une renommée inespérée. »

A l’entrée sur les marches, un groupe de trois jeunes Françaises patiente. Elles viennent ici pour la première fois et ne connaissent pas encore les lieux. Laissons-les découvrir le Remote Lounge. Pour elles, la nuit ne fait que commencer !

David Bénard

Journaliste vie numérique et mobilité, j'ai la tête à Indianapolis, le coeur à Nantes et le reste en Île-de-France...